Les Indochinois
Durant la Première guerre mondiale 90 000 Indochinois sont amenés en France en qualité de travailleurs. Un premier groupe de 40 ouvriers spécialisés arrive en 1915 à l’initiative du Directeur de l’Aéronautique, suivi par des contingents de plus en plus nombreux d’ouvriers non spécialisés (O. N. S.), surtout en 1916 et 1917.
Les deux guerres mondiales et la main d’œuvre coloniale asiatique
1 – La première guerre mondiale
Durant la Première guerre mondiale 90 000 Indochinois sont amenés en France qualité de travailleurs. Un premier groupe de 40 ouvriers spécialisés arrive en 1915 à l’initiative du Directeur de l’Aéronautique, suivi par des contingents de plus en plus nombreux d’ouvriers non spécialisés (O. N. S.), surtout en 1916 et 1917.
Ils sont organisés en groupements en fonction des travaux qui leur sont demandés. Ils sont d’abord affectés à des industries de guerres, des compagnies de chemin de fer puis à des travaux de creusement des tranchées et de « nettoyage » du champ de bataille.
A Indret
A la déclaration de la guerre de 1914, la mobilisation initiale ne réduit tout d’abord qu’assez faiblement l’effectif. Mais 3 télégrammes vont rapidement changer les choses.
29 août 1914 : mise à la disposition du Ministre de la Guerre des classes de 1905 à 1910 de la réserve de l’armée active.
31 août 1914 : envoi aux arsenaux de Bourges, Tarbes et Tulle d’ouvriers appartenant aux mêmes classes.
02 septembre 1914 : ordre de compléter les effectifs par prélèvement sur les classes de 1900 à 1904 des ouvriers non indispensables à l’exécution des fabrications de guerre.
Ces ordres ont pour effet une diminution plus sensible des effectifs. Celle-ci est compensée par l’emploi de militaires dès la fin de 1914, d’ouvrières vers le milieu de 1915, d’Algériens et de Cochinchinois en 1917 et 1918.
Le maximum est atteint au 1er avril 1918 avec un effectif de 197 Cochinchinois. 99 d’entre eux arrivés au 1er janvier 1918 sont renvoyés fin juin de la même année. Par rotation des contingents, ils sont encore 118 présents au 1er juillet 1919.
Jeune Chinois utilisé à Indret en 1917 à manutentionner les barres métalliques destinées à fabriquer les obus (Source archives Indret)
On ne sait rien de leurs conditions de vie et de travail, mais on peut se faire une idée de la discipline qui devait régner puisqu’un registre répertorie 25 ouvriers sur 99 ayant eu une punition. Le motif n’est jamais mentionné mais les punitions sont les suivantes :
Réduction de solde à 0.50 F pendant 4 ou 6 jours.
Placement dans un local d’isolement pendant 1 à 15 jours assortis d’une suspension de salaire, voire d’une demande de renvoi.
De plus un ouvrier est décédé de la tuberculose à l’hôpital de Nantes le 02 février.
Ils sont logés à la Martinière, dans les locaux d’hébergement des ouvriers venus travailler à la construction du canal latéral à la Loire (canal de la Martinière). Ils doivent, par conséquent, faire plusieurs kilomètres pour se rendre au travail, sous l’encadrement d’un chef de camp.
Vous remarquerez que l’on parle de « chinois » et non « d’indochinois », mais on ne sait pas d’où ils venaient, ni ce qu’ils sont devenus.
Quelques-uns sont restés après le conflit.
2 – la deuxième guerre mondiale
L’appel à la main d’œuvre coloniale entre 1915 et 1919, bien que non prévu avant le conflit, ayant été jugé positif, le Général Cartroux, Gouverneur Général de l’Indochine, fait opérer la levée de la main d’œuvre, prévue par la Loi, soit 100 000 hommes dès la déclaration de guerre le 29 août 1939. D’octobre 1939 à juin 1940 quinze transports sont effectués vers Marseille.
INDRET et la Création des camps
Les premiers ouvriers tonkinois foulent le sol français dès le 11 décembre 1939. Ils proviennent tous de la province de Ha Dong. Ils sont arrivés à Marseille par le S/S « Son Tay » et appartiennent à la 11ème compagnie.
Le 12 mai 1940, Indret dispose d’une compagnie de 213 travailleurs tonkinois employés comme terrassiers.
30 deviendront ajusteurs
50 deviendront chaudronniers
80 deviendront charpentiers-tôliers
20 deviendront mouleurs
Cette main d’œuvre est encore insuffisante et ne répond pas aux besoins de spécialistes dont souffre cruellement l’établissement d’Indret.
Pour y remédier il est fait appel à des ouvriers cochinchinois. Partis le 6 mars de Saïgon ils arrivent 41 jours plus tard à Indret soit le 16 avril. Il y a 63 hommes répartis en 4 équipes conduites chacune par 1 capelan indigène parlant français. L’ensemble étant surveillé par 1 cinquième capelan. Ils sont accompagnés par un agent technique de la DCN de Saïgon jusqu’à leur installation définitive en France.
Mais avant d’arriver à Indret ils sont dirigés sur le camp d’Aubagne pour une dizaine de jours où les opérations d’immatriculation et de visite médicale sont effectuées.
Cette main d’œuvre est plus qualifiée ; seuls six d’entre eux paraissent ne plus devoir être employés en raison de leur mauvaise conduite. Leurs dossiers seront envoyés à la direction navale, afin de les diriger vers la zone non occupée. Le 24 septembre 1940 les ouvriers Pham Da Tong immatriculé N° 28 et Ly Kim Hoc N°23 deviennent ouvriers qualifiés. Un interprète est prévu dans chaque camp ; L’interprète du camp saïgonnais (cochinchinois) était très ami avec M.Guibreteau. Il venait presque chaque semaine chez eux. Il enseignait le français aux ouvriers. Pour cela il utilisait un cahier sur lequel il avait écrit le mot en saïgonnais et en face le mot en français.
M. Nguyên Van Lué interprète annamite et planton
Pour loger ces ouvriers l’établissement de la marine indique qu’elle dispose dans les villages environnants de maisons disponibles autorisant le déplacement des réfugiés qui l’intéressent. En fait M. Guérigny a déjà loué 100 maisons et a fait réserver à cet effet quatre autocars pour la desserte des environs. Indret doit se résoudre à construire deux camps bien distincts car les deux populations sont en conflit et les risques d’incidents sont à prendre très au sérieux. De plus les baraques utilisées à la Martinière en 1914 n’existent plus. La direction de la DCN s’informe alors auprès des municipalités de La Montagne et de Saint-Jean-de-Boiseau des lieux où il serait possible d’ériger ces camps. La Montagne propose d’utiliser le site des carrières de la Garenne et Jules Lefort, maire de Saint-Jean celles de Boiseau et du Chat qui Guette. La direction d’Indret accepte ces emplacements mais redoute leur proximité. Elle demande alors à Jules Lefort un autre emplacement pour les Saïgonnais. Après bien des tractations, il est procédé à la réquisition de terrains à la Cruaudière, sans dédommagement des propriétaires M. Develon et M. Belthé. Les premiers travaux commencent dans les carrières de Boiseau et de La Garenne début décembre 1939. Les plans types des baraquements sont réalisés au bureau d’étude de l’arsenal et la réalisation est sous-traitée à l’entreprise Bodineau pour la maçonnerie.
Le camp de la Garenne :
Une vingtaine d’ouvriers s’affairent alors sur le vaste chantier pour construire 5 baraquements à usage de dortoirs pour environ 40 Tonkinois chacun. Ces logements ont des murs, constitués de deux plaques de fibrociment montées sur une fine charpente de bois, et séparées par un vide d’air. Ces murs sont supportés par des fondations et deux rangées de parpaings pleins, constituant un vide sanitaire. Les sols sont constitués d’un plancher sur solives et le plafond est en carton épais. La couverture est faite de plaques de fibrociment. Chaque baraque dispose de 4 cheminées pour le chauffage à l’aide de poêles situés dans l’axe central des logements.
Outre les logements à usage de dortoirs, on construit un bloc WC, une cantine, un lavoir non couvert pour la toilette et la lessive, un logement pour le gardien du camp, servant aussi de fourrier. Une partie est réservée au magasin pour le stockage des vêtements et l’alimentation. Le gardiennage de ce camp est confié à un adjudant chef d’Indret, M. Parpaix, mutilé de la guerre de 14/18.
Le camp de la Garenne (Source archives Indret)
Suivant le règlement en vigueur il est aussi construit une prison. L’ensemble du camp est disposé de chaque côté de la route conduisant à l’usine. Il est entouré d’une clôture faite de grillage. L’entrée du camp est constituée de deux colonnes supportant une grande enseigne rappelant l’entrée des pagodes chinoises. Un mât au centre de l’espace sert à la levée des couleurs.
Ce premier camp sera terminé fin mars 1940.
Le camp de la Cruaudière :
C’est seulement au début du mois de mars 1940 que débute la construction de ce deuxième camp chargé d’héberger les Saïgonnais. Une partie de l’équipe utilisée à la construction du premier camp est mobilisée ainsi que les premiers ouvriers tonkinois arrivés à Indret. Les bâtiments sont réalisés sur le même modèle qu’à la Briandière mais le camp ne comporte que 3 dortoirs, un réfectoire, un bloc sanitaire, une prison et la maison du gardien d’Indret M. Morvan. Le camp est terminé fin mai 1940.
Le foyer des travailleurs coloniaux :
En vertu des accords passés avec les autorités tonkinoises et saïgonaises, une autre construction est réalisée dans la carrière du Chat qui Guette, à l’emplacement de l’ancien garage automobile Gouard. Il sert de foyer pour les travailleurs coloniaux. Il a pour but d’offrir un lieu de distractions aux exilés pendant leurs heures de repos et particulièrement les jours non travaillés.
Relations avec la population :
Malgré l’objectif initial d’éviter les relations trop fréquentes avec la population locale, celles-ci auront bien lieu et, notamment, avec les gens du voisinage. Plusieurs sont invités à participer à la rituelle fête du Têt, au mois de février. A cette occasion Indret accorde deux à trois jours de congés à ses ouvriers venus d’Asie pour qu’ils puissent célébrer dignement leur jour de l’An.
Jean Guibreteau se souvient de cette fête : j’avais alors 16 ans et l’interprète du camp saïgonnais venait régulièrement à la maison. Une ou deux fois par semaine nous mangions ensemble car il appréciait la cuisine de ma mère. Sauf une fois ou elle avait fait du riz au lait, il n’avait pu le manger car chez eux cette céréale n’était bonne que cuite à l’eau. Un jour, au mois de février 1940, il est venu nous inviter à la fête du Têt, leur nouvel an. Nous nous sommes retrouvés avec quelques voisins dans ce foyer, c’était en fin de journée. Nos hôtes avaient préparé des boissons et un repas avec des plats de chez eux puis ils se sont mis à chanter dans leur langue des airs où nous ne comprenions rien… »
Ces travailleurs exilés sont des civils. Leur encadrement militaire a pour but d’assurer une saine administration et une protection efficace de ces hommes placés soudain dans des conditions de vie totalement différentes de celles auxquelles ils étaient habitués. Cette disposition implique aux travailleurs de rentrer dans les cantonnements aux heures fixées, respecter les règlements sur la bonne tenue et l’hygiène. Ils sont conduits au travail en ordre. J’entends encore le bruit cadencé de leurs sabots à claquette, martelant la chaussée pavée qui conduisait à l’usine (Souvenirs de Jean Guibreteau)
Par ailleurs il leur est interdit de découcher ou de se livrer à des jeux d’argent. Pour faire régner ces consignes, le chef du camp peut infliger des punitions et des jours de prison.
Le but est d’assurer la production de guerre sans perturber l’ordre civil des communes et militaire des arsenaux. L’interprète se charge aussi du rôle de délégué syndical auprès de la direction. Hélas, ces délégués pensent souvent à leurs propres intérêts…
L’une des exigences en contrepartie de leur travail consiste en la fourniture de riz Non Décortiqué.
Compte tenu de leur peu de qualifications les Tonkinois sont affectés à des tâches de manœuvres, terrassiers ou aides dans les différents ateliers notamment à la chaudronnerie. Les meilleurs d’entre eux sont postés sur des tours automatiques réglés par des professionnels de l’usine. Ils fabriquent en série des petites pièces pour l’artillerie. Ils font ce travail avec les femmes venues remplacer les maris partis au front ou prisonniers. Ils travaillent en faisant les tournées du soir le plus souvent car les femmes qui travaillent sur les machines sont de la tournée du matin.
Il y a aussi quelques jeunes filles à la recherche d’un salaire.
Au début les relations entre le personnel féminin, voire masculin, sont très tendues. Les Annamites comme on les appelle quand ce n’était pas les Chintocks, ils sont précédés d’une mauvaise réputation et on se méfie d’eux. On dit qu’ils sont hypocrites avec un sourire sournois, qu’ils ont des mœurs barbares car ils mangent les meilleurs amis de l’homme de la race féline et canine, que ce sont des voleurs etc…
De plus, ils ne parlent pas notre langue et au début ne communiquent qu’entre eux ajoutant ainsi ce climat de suspicion…Que se disent-ils ! Ne se moquent-ils pas de nous ! etc…
Ce rapprochement n’est pas facilité par l’encadrement dont ils font l’objet. Ils sont l’objet de moqueries notamment sur leurs noms difficiles à prononcer pour les Français. Exemple Trans Van Sou était appelé Vent du Sud, il y a aussi un Vent du Nord et bien d’autres surnoms, chose qui se pratiquait également couramment dans notre pays de Retz à l’encontre des autochtones.
Toute la semaine ils sont vêtus de la même façon pour se rendre au travail. Ils sont équipés d’une pèlerine noire à capuchon pour les protéger du froid et de la pluie, d’un pantalon droit et de leurs fameux sabots. Pour le travail ils ont des bleus et un béret comme les ouvriers de l’usine.
Une lettre du 1er février 1940, émanant du « service central de la main-d’œuvre indigène nord-africaine et coloniale » nous indique le salaire et les primes qui leur sont attribués.
On y lit « il me paraît donc possible, au moment même où la métropole demande à l’Indochine un accroissement sensible de son effort de recrutement, de procéder au relèvement du plafond de la prime de travail journalière des ouvriers et surveillants indochinois portée de 2 à 5 F. L’échelle nouvelle serait, par suite, comprise entre les termes extrêmes de 0,50 et 5 F permettant de récompenser dès le début, les bons ouvriers et par la suite, ceux qui auront acquis une formation professionnelle les classant comme bons ou très bons ouvriers ».
Un barème est mis en place : 1, 2, et 3 F correspondant à 3 catégories d’ouvriers : moyens, bons et très bons.
Une prime spéciale est accordée exceptionnellement, je cite, « à des sujets remarquables et dignes en tous points d’éloges et d’encouragements ». Une autre prime spéciale est prévue en plus de la prime normale « pour répondre aux dangers ou aux fatigues spéciales de certains labeurs, effectués dans les poudreries ».
Ce courrier précise en outre qu’il ne faut pas tout donner en même temps : « la prime normale à ceux qui font correctement leur travail, les augmentations uniquement après une période suffisante pour avoir constaté les progrès accomplis ». Bien entendu, « ceux dont le rendement baisserait au-dessous d’une moyenne acceptable soit par paresse, soit par mauvais vouloir verront leur allocation baisser toutefois de manière temporaire sans excéder un mois ».
Selon l’article 109 de l’Instruction de 1939 « l’habillement est fourni aux Travailleurs Coloniaux à titre gratuit ».
Des vêtements leur sont fournis à l’embarquement, complétés par des vêtements chauds à l’arrivée en France. Toutefois le service de la M.O.I. n’a jamais été en mesure de fournir les vêtements de rechange.
En fait, ils manquent de tout et crèvent de faim. Chez eux manger du chien et du chat est chose normale, aussi vit-on disparaître du paysage de Boiseau ces chers animaux domestiques. On en a eu l’explication lorsqu’on transforma le carrefour du Chat qui guette. Lors des travaux de canalisation du ruisseau qui passe sous le rond point, les ouvriers ont découvert une grande quantité d’ossements de ces pauvres animaux transformés en civets…Ils chapardent aussi dans les champs, des rutabagas.
Ils font sécher leur riz sur le toit des baraquements et pour améliorer l’ordinaire, ils fabriquent des claquettes à semelle de bois avec une lanière en cuir tressée, des « ngôc », qu’ils vendent aux habitants de St Jean.
Pour ne pas montrer leur misère ils vont se faire tirer le portrait chez P. Fréor pour l’envoyer dans leur famille. Ils étaient à ce point démunis qu’ils ont acheté une veste neuve qu’ils utilisent à tour de rôle pour faire croire que tout va bien pour eux…
On l’a dit, les deux communautés ne s’entendent pas. Est-ce pour cela qu’un courrier du 2 octobre 1940, est adressé au commandant de la 11e compagnie des travailleurs indochinois à Indret. Ce courrier nous en apprend plus sur leurs conditions de vie.
« Nous soussignés travailleurs indochinois, avons l’honneur de solliciter de votre haute bienveillance votre attention pour les cas suivants :
Depuis que nous sommes en France, sous votre commandement, nous avons toujours été contents du logement, de l’habillement et nous vous sommes reconnaissants de votre paternelle bonté, de votre générosité ce qui nous touche beaucoup. Nous sommes persuadés pouvoir vous prouver notre reconnaissance par notre travail et notre dévouement.
Nous vous demandons donc de faire une enquête sur les faits suivants (faits anormaux pratiqués par l’interprète N Guyen Tien Luoc N° 617)
Les travailleurs ayant de bonnes notes ont une augmentation de solde. L’interprète Luoc ne donne toujours que l’ancienne.
Le 6 mai, vous nous avez fait distribuer des paquets de cigarettes au prix de 0.90 f et des boîtes de tabac au pris de 0.70 f. L’interprète nous les a revendues à 1.10 f
Le jour où le Roi d’Annam est mort, vous nous avez donné un jour de congé payé. Ce jour de congé a été versé pour les prisonniers. Nous étions contents de faire ce sacrifice, mais l’interprète Luoc nous a retenu encore une journée supplémentaire, nous avons donc perdu deux jours !
Quoiqu’il y en ait au magasin pour nous nourrir normalement, nous mangeons insuffisamment. L’interprète garde se sert copieusement, sert ses serviteurs n°422, 418, et 428 et bien souvent jette le reste aux ordures. Nous serions contents si tout le monde avait la même ration comme au camp saïgonnais.
Pendant votre absence du 4 juillet, Luoc a distribué 2 paquets de cigarettes à chacun, a revendu le reste aux n° 603 et 296 et a pris de l’argent pour acheter le quinquina.
Le 5 septembre, l’interprète a distribué à chacun 10 paquets de cigarettes à chacun au prix de 1 f. Nous avons demandé quel était réellement le prix des cigarettes et du tabac, vous nous avez donné le prix de 0.90 f pour les cigarettes et 0.70 f pour le tabac et l’interprète Luoc a remis les cigarettes à 0.90 f et le tabac à 0.75 f
En conclusion, étant écœurés par cette façon de faire vis à vis de nous, nous souhaitons que l’interprète Luoc soit remplacé. Tous nous demandons comme interprète Tran Quy Tué n°621 qui a toutes les connaissances pour le faire et qui a l’estime de tous.
Nous vous prions donc, M le commandant de juger si notre revendication est justifiée et nous sollicitons de votre bienveillance de faire le nécessaire. Croyez, M le commandant à notre sincère dévouement. Signé les n° 585, 435, 488, 445.
On ne sait pas quelle suite a été donnée à ce courrier.
L’administration était peut-être pour quelque chose dans cette mésentente entre les communautés. L’ingénieur Balland demande par un courrier du 9 mai 1941 au S E du travail que « les 56 Saïgonnais soient constitués en compagnie et soumise au même régime administratif que les compagnies de Tonkinois » Ordre est donc donné de payer au Saïgonnais l’indemnité de chômage que perçoivent les Tonkinois.
Que sont-ils devenus ?
Devant l’avancée des troupes allemandes à partir de juin 1940, les autorités décident de rapatrier les contingents. Alors que les 21ème, 68eme et 11ème (celle d’Indret) restent à leur poste, les autres compagnies se replient vers le sud. Avant le départ pour leur pays, les travailleurs indochinois sont regroupés à Marseille. Les évacuations commencent en janvier 1941 et s’interrompent en août 1941. Les travailleurs d’Indret partent en avril 1941 accompagnés par M. Poussin commandant du camp des Saïgonnais et son adjoint M. Alusson. Cependant 5 ou 6 de ces asiatiques sont restés dans la région. Certains ont trouvé l’âme sœur et fondé un foyer. En effet, c’est souvent avec les femmes que se sont nouées les premières relations sur les lieux de travail. L’un d’eux Trans Van Sou surnommé la pagaille habite à Roche Ballue. Deux autres connus sous les surnoms de Grand vent sud et Grand Vent Nord résident à la Montagne. Nous avons aussi retrouvé l’acte de décès du 13 décembre 1950 de Tran Van Hoé, paraissant âgé de 38 ans, présumé célibataire demeurant rue de la Paix à la Montagne. Il était ajusteur à Indret. Il venait d’une famille de cultivateurs de la province de Hung Yen au Tonkin.
Les logements sociaux
A la Libération les bâtiments sont occupés, peu à peu, par des ouvriers travaillant à Indret. Le loyer et l’entretien sont gérés par le service social aux armées. Ces logements sont appelés aussi par les riverains de façon plus ou moins ironique « Le camp des chintocks » ; pourtant ces « baraquements » ont souvent plus de confort que bien des habitations des villages voisins. Sur les cinq dortoirs que comporte le camp, trois sont reconvertis en logements dont deux dans la carrière de la Briandière. Celui près de la route de la Garenne comprend quatre logements avec une seule porte par façade. Ils seront attribués à différentes familles.. Quant au petit pont il est constitué d’un wagon de chemin de fer coupé dans sa longueur. Pendant quelques temps, le portique d’entrée en forme de pagode paraît anachronique dans la nouvelle affectation des lieux puis il est démonté. Seules ont survécu les deux tours faites d’une charpente recouverte de fibrociment. Elles sont restées là assez longtemps. Surtout celle à droite de l’entrée (à l’emplacement de l’entrée du délaissé communal). Elle constitue pour les enfants du quartier, un excellent terrain d’escalade, les plaques de fibro de la base sont cassées et qu’on peut aisément s’y introduire. Il y avait aussi un lavoir : un grand bac en ciment avec une série de robinets. Les autres baraquements sont vendus. L’un à l’amicale Laïque du Pellerin pour servir de salle de bal où beaucoup de jeunes de Couëron, La Montagne et Le Pellerin font la rencontre de leur future épouse au son de l’accordéon de Vanderhaegen et ses musiciens. L’autre sera acheté par le café moderne de la Montagne pour servir de jeu de boules. Un troisième par M. Roger Petit qui devient par la suite « La Clef de Champs » sur la route de Paimboeuf. Les premiers occupants arrivent à la fin du printemps 1945. Le terrain est la propriété de la commune de La Montagne, mais les constructions appartiennent à l’arsenal d’Indret. Les habitants de ces logements sont peu fortunés, mais ce qui marque ce quartier, c’est la parfaite entente entre les familles. Les enfants jouent ensemble, les femmes se font des confidences et se rendent service. Les hommes parlent politique et boivent un coup au café tout proche. Dans un coin du camp, au nord de la Garenne, près d’une fontaine, sous des dalles de pierre, les enfants mettent au jour un dépôt d’armes et grenades. Probablement, une partie des armes des soldats russes cachées par les résistants pour ne pas tout remettre au sergent Kovalski. Progressivement, les locataires quittent ces lieux d’hébergement provisoires, mais au dire de certains très confortables, pour emménager dans une petite maison sur Saint Jean ou la Montagne. Puis ceux situés côté Boiseau sont alors démontés et les terrains vendus à la commune de la Montagne pour y implanter la station d’épuration entre 1962-63. Monsieur Guguen, entrepreneur de maçonnerie achète une partie du terrain côté Chat qui Guette pour y installer son entreprise. Du côté la Garenne les derniers occupants partent au début des années 1970. Les bâtiments les plus vétustes sont démolis, l’un d’eux est remonté au bas de l’ancienne école publique. Le logement central du camp va subsister encore quelques temps pour abriter un club de judo. Puis il disparaît à son tour pour faire place à un délaissé communal de La Montagne.
Restes des camps
La Garenne
Les lavabos
La prison
La Cruaudière
Matérialisation du camp saïgonnais
Entrée du camp et maison du gardien
Les douches et lavabos
La prison