Mai 68
C’était il y a 40 ans …… au mois de mai
Mai 68 ! Ils étaient peu nombreux ceux qui y faisaient référence avant que les médias ne braquent leurs projecteurs sur la célébration de son 40ème anniversaire.
Notre propos n’est pas de nous intégrer à cet engouement dicté par le courant du moment, cela ferait redondance, mais, en collectant les témoignages des acteurs locaux de cette époque, de redonner vie pour quelques instants à ce que les habitants de nos communes ont connu.
Il est évident que pour ne pas présenter, ici, un dossier trop volumineux nous avons dans cette présentation retiré la quasi-totalité des témoignages ce qui enlève pour beaucoup de la vigueur à ce texte.
Afin d’alléger encore notre propos, nous vous présentons ce dossier en 2 parties.
Les origines du conflit et l’action dans les différentes corporations.
La gestion du quotidien dans nos communes.
Les origines du conflit et l’action dans les différentes corporations.
1 - Les raisons de mai 68
Depuis quelques temps un peu partout en France de petits soubresauts, quelques bouillonnements apparaissent ça et là sans que personne n’y prenne plus d’attention qu’il n’est nécessaire.
Depuis le début de l’année, le monde étudiant s’agite. Le 14 février, les étudiants Nantais envahissent le rectorat pour réclamer le paiement de leurs bourses d’études. Le bureau du recteur est saccagé. Des heurts ont lieu avec les forces de l’ordre. En représailles, le préfet, Jean-Marie Vié, décide de ne pas attribuer de bourses aux meneurs.
Vers la fin avril, la télévision fait état de mouvements d’étudiants à Paris, mais, pour le pays de Retz, cela semble très lointain.
Dans le secteur hospitalier, les conditions de travail se dégradent et se heurtent au mutisme et à l’intransigeance des « mandarins ».
A Indret, les aciers laminés et soudés prennent de plus en plus l’ascendance sur les aciers moulés. La fonderie ne représente plus que 27 % de la production et le mot « fermeture » a été prononcé.
Tout près, à Sud-Aviation, depuis déjà longtemps, les démarches relatives au plan de charge déficitaire ajoutées aux revendications ouvrières, sont restées lettres mortes.
Un peu partout des flammèches apparaissent, sans que les instances dirigeantes ne s’en préoccupent.
L’étincelle
Ce 8 mai, malgré un ciel maussade et des pluies intermittentes plus de 10000 manifestants réunissant étudiants, agriculteurs et ouvriers ont envahi le pavé nantais.
Cependant, les étudiants ne relâchent pas leur pression. Depuis le 2 mai de nombreuses manifestations, suivies d’affrontements avec les forces de l’ordre, ont lieu à Paris. Les meneurs de ce mouvement revendiquent plus de liberté dans les internats.
Le dimanche 12 mai, les Confédérations CFDT, CGT, CGT FO, FDSEA, CDIA, UNEF, AGEN et la FEN lancent un ordre de grève générale, sans préavis, pour le lundi 13. Les Unions Départementales prennent le relais.
Ce lundi 13 mai, sous un soleil heureusement de retour, la manifestation à Nantes, avec 20000 participants, est imposante et marque les esprits.
Tout aurait alors pu rentrer dans l’ordre, mais le lendemain 14 mai, quelle ne fut pas la sur-prise de lire dans les journaux et de voir à la télévision l’occupation de l’usine Sud-Aviation de Bouguenais
Mai 68 est né.
Voici, résumé en quelques pages, les différents aspects de notre plaquette retraçant ce que fut le quotidien des Boiséens et des habitants des communes environnantes.
2 - Le conflit ouvrier
2.1 – à Sud-Aviation
Aujourd’hui, de nombreux établissements revendiquent d’avoir été les premiers à être partis en conflit. Il n’est pas question de créer une polémique sur le sujet, mais il convient de dire qu’à notre connaissance, les ouvriers de Sud-Aviation furent dans les premiers et (osons-le !) pourquoi pas, les premiers, à se lancer dans la lutte.
Le contexte
Tout n’est pas si rose à Château-Bougon. Le plan de charge est en baisse. La Caravelle, fleuron de l’aviation française, a de la peine à se vendre et voit sa fabrication cesser dès 1968. Pour combler le déficit de charge elles développent des produits de diversification, no-tamment les fameux réfrigérateurs de la marque Frigéavia à Bouguenais et les caravanes Caravelair à Saint-Nazaire.
En 1968, la situation s’est encore dégradée, malgré le démarrage d’un programme auda-cieux d’avions civils capables d’emmener ses passagers, outre Atlantique, à la vitesse de deux fois le mur du son. Le nom de Concorde ne lui sera donné que plus tard. Face à ce problème, la Direction de Sud-Aviation décide de geler les augmentions de salaires sur plu-sieurs années, de réduire les horaires de travail de 48 à 45 heures par semaine et de fermer l’usine de Rochefort.
Ce plan touche plus particulièrement les ouvriers horaires. Toutes les démarches des syndicats ont jusqu’alors échoué. Depuis le début du mois d’avril, de multiples débrayages d’une demi-heure ont lieu presque chaque jour, pour faire céder la direction générale située à Paris.
Le plus fort dans tout cela c’est que le 2 mai, l’ancien préfet de police de Paris, Papon, révèle dans la presse que la situation financière de la société est excellente ! C’est là une parole vraiment mal venue…..et lourde de conséquences.
Le conflit
Ce mardi 14 mai, sous l’impulsion d’Yves Rocton qui deviendra le véritable leader du conflit, deux demandes d’audiences ont été adressées à la Direction : le matin à 11 heures, la seconde à 14 heures. Les principales revendications sont :
augmentation de 35 centimes de l’heure pour compenser les 1 heure 30 de diminution d’horaire depuis le 15 avril.
Répartition des charges de travail entre les établissements pour éviter des licenciements.
Embauche de tous les ouvriers en prêt.
Maintien du site de Rochefort.
Les choses vont alors aller très vite.
Mécontents, les ouvriers envahissent les locaux administratifs.
La Direction refuse toute nouvelle rencontre. Alors, le coup de force est décidé « On va occuper l’usine ».
Les responsables syndicaux demandent à la base de se prononcer. L’adhésion des ouvriers est obtenue à une grande majorité. Dès lors, la décision de bloquer tous les accès de l’usine est prise. Les ouvriers soudent les grilles de l’entrée principale et tout le personnel est bloqué à l’intérieur de l’usine. La Direction se trouve prise en otage dans son bureau avec quelques cadres.
Ce coup de force fait l’unanimité, à la Une des quotidiens du lendemain.
Les piquets de grèves, recrutés parmi les plus virulents militants, sont disposés aux accès stratégiques et le bureau du directeur est envahi par une délégation de grévistes.
Par solidarité, une dizaine de cadres viennent prêter assistance au Directeur.
Une certaine presse a raconté que le directeur fut ficelé sur sa chaise avec les fils de son téléphone !… Ce fait n’a jamais été authentifié. Ce qui est sûr, c’est que cet homme ne se remettra jamais de l’épreuve qu’il dut subir pendant seize jours.
Une autre catégorie de personnel ne participe pas, dans cette épreuve de force, de bon cœur : les mensuels.
Ça n’a jamais été le grand amour entre mensuels et ouvriers en bleus. Beaucoup trop de choses les divisent.
Ces différences font que les deux catégories, les bleus et les blouses, se côtoient, mais n’ont pas de relations très amicales et chaque camp le fait bien sentir à l’autre.
Quelques cadres et mensuels qui, le soir venu, tentent d’escalader l’enceinte pour rentrer chez eux, se voient poursuivis par des syndicalistes armés de gourdins. Quelques-uns sont frappés. Pour dissuader d’autres réfractaires, on peut lire sur le mur de clôture, écrit à la peinture en grandes lettres rouges « Passants, souvenez-vous. Ici le sang d’un jaune a coulé. Avis aux amateurs ».
Dans ce conflit, ce sont surtout les ouvriers qui conduisent la grève. Ils brandissent des banderoles ou pancartes chargées de slogans du type : « Plutôt crever que céder ».
La gestion du conflit
A l’intérieur, le comité de grève doit tout organiser, notamment le ravitaillement des 2000 occupants. Quelques coups de téléphone permettent d’assurer pour ce premier soir un gigantesque pique-nique. La première nuit d’occupation va commencer.
Dès le soir, on attend les forces de l’ordre de pieds fermes. Rocton a demandé à tous les chasseurs grévistes d’apporter leur fusil. Mais la nuit sera calme.
Le décor est planté, la déferlante qui va suivre, va dépasser tous les acteurs.
On organise les 3/8, afin d’assurer la garde et les tâches quotidiennes. Les hommes sûrs sont chargés d’aller chercher le ravitaille-ment et la boisson.
Les corvées de pluches se font à tour de rôle dans la cour de l’usine.
Pour dormir, les plus ma lins ont réussi à faire venir par les copains ravitailleurs des sacs de couchage ; les autres dorment dans les cartons d’emballage des frigos, car les nuits sont fraîches.
La permanence syndicale est ouverte 24 heures sur 24. Près de 800 piquets de grèves occupent les barrages filtrants.
L’effet « boule de neige »
Dans les usines du secteur, les personnels ont tous répondu à l’appel du 13 mai, mais le lendemain chacun a regagné son lieu de travail.
Et pourtant, le 17 mai, les ouvriers de l’usine des Batignolles votent, eux aussi, la grève générale. D’autres suivront.
Le 18 mai les trains ne circulent plus. La SNCF, les marins du port de Nantes, E.G.F. et Air-Inter suivent
A Sud-Aviation, la situation est toujours bloquée avec la Direction Générale. Les responsables syndicaux doivent faire face au ravitaillement des internés.
Au bout de quelques jours, Georges Vincent, responsable CGT, déclare la situation pesante.
A la fin de la première semaine, il a même envisagé la libération du directeur, mais la base ne le suit pas, car « l’otage est notre monnaie d’échange » disent-ils !
La situation s’enlise. La Direction Générale refuse de négocier sur les accords salariaux, tant que Pierre Duvochel, le directeur de l’usine, sera maintenu comme otage.
Le 20 mai, la grève se généralise
Entre le 20 et le 26 mai, toutes les entreprises y compris les administrations se mettent en grève.
Le 20 mai, les consignes données par les organisations syndicales sont appliquées aussitôt dans presque toute la Métallurgie. Les usines sont occupées. Les P & T cessent de distribuer le courrier et ferment leurs guichets. La raffinerie Antar, à Donges est occupée ; les livraisons de carburant arrivent au « compte-gouttes » dans les stations. Il n’y a pas encore d’affolement car tout le monde n’a pas une voiture et beaucoup d’ouvriers se déplacent à mobylette ou à vélo.
L’ensemble des métiers du bâtiment est aussi en grève.
Le 20 mai, les bacs arrêtent d’assurer le transfert d’une rive à l’autre à Mindin, au Pellerin et à Indret. Les banques, les ASSEDIC, les administrations ferment le même jour. Les cars Drouin restent au garage. Le personnel communal, les écoles cessent aussi le travail.
Le 22 mai ce sont les magasins de Nantes et des grandes villes qui ferment. Seuls, comme à Saint-Jean, les petits commerces restent ouverts et rencontrent de sérieux problèmes d’approvisionnement.
Le pays est paralysé.
Des réunions entre les responsables syndicaux des diverses entreprises se tiennent à la Bourse du Travail à Nantes et peu à peu cette grève prend l’aspect d’une grève politique.
Des meetings politiques se déroulent en province. Et la lutte continue
Le 23 mai, la situation a encore empiré.
Les grands magasins sont très sollicités par le comité de grève qui siège à la mairie de Nantes, afin d’obtenir du ravitaillement au moindre prix. Gare à ceux qui refusent toute participation : certaines vitrines en souffrent.
A A Sud-Aviation, après dix jours de grèves, le problème des salaires va se poser. Plus personne pour faire les payes et le personnel ne perçoit aucun salaire. Devant ce risque, une délégation syndicale se rend à Paris, à la Direction Générale pour occuper les locaux et finit par obtenir qu’un acompte sur les salaires soit versé.
2.2 – A Indret
A Indret, il n’y eut jamais cette spontanéité et cette intensité dans l’action que nous venons d’exposer au sujet de Sud-Aviation. Si l’établissement est fermé, la direction n’est pas séquestrée et, hormis les piquets de grève de service, chacun regagne son foyer, le soir venu.
Par ailleurs, l’entrée dans le conflit n’est effective qu’une semaine plus tard. Avant qu’une décision ne soit prise il faut organiser la coordination de tous les établissements pour une raison somme toute logique : Les revendications seront d’ordre général et il faut donc avoir l’aval de chaque intersyndicale locale.
L’entrée dans la lutte
Suite au mot d’ordre de grève générale lancé sans préavis par les confédérations CFDT, CGT et FEN pour le lundi 13 mai le conseil syndical vote la grève.
De bonne heure, ce lundi matin, aux portes de l’établissement, au ponton du bac, aux digues de La Montagne et de Boiseau, les piquets de grève se mettent en place afin de dissuader les quelques personnes opposées au mouvement de passer les grilles d’accès aux ateliers.
Le lendemain de cette manifestation à Nantes, tout semble rentrer dans l’ordre et chacun retrouve son travail.
Vendredi 17 : rencontre confédérale CGT et CFDT afin de mettre en place les modalités de l’action à entreprendre.
Samedi 18, elles appellent à la grève générale avec « occupations d’usines ».
Dimanche 19, à Indret, réunion intersyndicale des syndicats CGT, CFDT et CGT-FO pour décider de l’organisation du mouvement.
Le lundi matin, tout ne démarre pas très bien. De bonne heure les employés du bac ont pris la décision d’entrer dans l’action. De ce fait, à l’exception des plus matinaux, les personnels d’Indret, habitants le Nord-Loire sont astreints à faire le tour par Nantes.
Donc, à l’heure de l’embauche, et avec un peu de retard, vu ce fâcheux contre temps, les militants des 3 syndicats sont placés à chaque pendule de pointage et distribuent à chacun l’invitation à se rendre pour 8 heures dans la cour près du laboratoire afin de décider des ac-tions à entreprendre.
A l’appel des 3 syndicats, la grève est votée à mains levées, à l’exception des abstentions des militants de la CFTC-maintenue, déçus de ne pas avoir eu le droit de s’exprimer en intersyndicale.
Pour qui connaît la configuration des lieux, l’application des directives nationales n’est pas chose aisée. De ce fait, l’organisation des piquets de grève n’est pas facile à gérer.
C’est donc sans déplaisir que ces derniers apprennent, dès l’après-midi de ce premier jour de grève, la décision de l’intersyndicale de fermer les grilles. Seuls les personnels de maintenance et de sécurité sont habilités à pénétrer dans l’enceinte de l’établissement.
Hormis les luttes d’influences entre la CGT et la CFDT et mis à part les quelques manifestations d’humeur des inconditionnels « jaunes » peu nombreux et arrêtés par la fermetures des portes, aucun incident n’a lieu pendant cette première semaine.
La fin du mois est proche. La paye sera-t-elle distribuée ? C’est du Directeur, bien isolé dans son château, que vient la réponse. Il a reçu des instructions pour que les payes soient versées. Après discussions il est admis que le comité de grève en assurera la gestion.
La gestion du quotidien
Il n’existe plus ni samedi, ni dimanche, pour les responsables syndicaux ; quelque soit leur niveau de compétence, la gestion du quotidien devient leur préoccupation de tous les instants.
Les conséquences de ces différents conflits sont considérables.
Le secteur de l’alimentation, le ramassage du lait, le transport des denrées tout s’enchaîne.
Les banques, grâce à un personnel « mobilisé » assurent que les fonds nécessaires à la paye des salariés pourront être débloqués.
Dans les hôpitaux, bien que grévistes, tous les salariés assurent les soins aux malades.
Heureusement la solidarité joue parmi les personnels en lutte, bien évidemment, mais également grâce à la compréhension d’autres corporations.
L’essence manque. A Nantes, le comité de grève est chargé de parer au plus urgent et principalement à la distribution des bons d’essence avec toute la rigueur possible afin d’en assurer la plus juste répartition.
Un état des approvisionnements le 22 mai
La journée du 24 mai A Nantes
Ce 24 mai, il pleut sur Nantes. Une grande manifestation est organisée par les agriculteurs de la FDSEA, auxquels se sont joints les syndicats ouvriers et des étudiants. Les 2000 agriculteurs se sont regroupés à Bouaye et, avec tracteurs et remorques chargées de fumier. De là, ils se rendent au rassemblement place Royale, rebaptisée provisoirement place du Peuple.
En fin de journée, un cortège se dirige cours des Cinquante Otages en direction de la préfecture.
Pour éviter l’invasion de celle-ci, le préfet envoie les CRS au devant des manifestants, 1000 ouvriers, 500 étudiants et 2000 agriculteurs. Très vite les évènements prennent des allures de révolution. Les manifestants arrachent les arbres des allées, retournent des véhicules de tourisme pour faire des barricades. On entre pour près de 7 heures dans une bataille de rue qui fera plus de 200 blessés. Dans la presse ce 24 mai sera baptisé la nuit rouge.
A La Montagne
Il faut redonner un second souffle à la lutte. Réunis en intersyndicale, les syndicats CGT, CFDT, CGT-FO d’Indret et les syndicats d’enseignants de La Montagne SNI, SNC et SGEN lancent un appel à un rassemblement, place de la mairie de La Montagne le vendredi 24 mai, à 9 heures 30.
Contrairement à Nantes, il n’y a ni chants, ni cris tout au long de cette longue file qui monte vers La Montagne.
En peu de temps, la place de la mairie est noire de monde ; elle ne suffit pas à contenir tous les manifestants. C’est un succès pour les organisateurs. Les ouvriers habitant le Nord-Loire sont également venus nombreux.
A 10 heures, la délégation pénètre dans l’Hôtel de ville afin de demander son soutien à la lutte au maire Francis Lambourg.
L’entrevue est de courte durée et du haut des marches de l’édifice public, Maurice Vaillant annonce à la foule sidérée « Monsieur le maire refuse de nous apporter son soutien ».
Les manifestants place du marché
Est-il utile de décrire ce qui suit cette déclaration ! C’est d’abord en grand moment de silence qui, malgré sa brièveté, semble durer une éternité ; puis, ce sont des cris, des hurlements, des sifflets, des insultes, des menaces, tout ce que la nature humaine peut sortir de sa poitrine s’exprime.
Puis le calme peu à peu revient. Maurice Vaillant profite de ce répit pour inviter la foule à se disperser et à partir en cortège.
A ce moment précis, sous les hourras, les filles de chez Clergeau, armées de leurs drapeaux rouges et noirs font leur apparition sur la place.
C’est à cet instant que Georges Guihal, conseiller dans la municipalité de Francis Lambourg, gravit les marches du perron et déclare : « Camarades, nous contestons la position prise par notre maire et nous démissionnons ». Autres que Georges Guihal, 5 conseillers remettent leurs démissions. Ils ont pour noms Roger Grégoire, René Guillard, Gaston Leport, Fernand Marais et André Perrier.
Nous ne pouvons clore ce chapitre sans entendre M. Lambourg s’exprimer sur le sujet. En voici quelques extraits : Je ne crois avoir été particulièrement visé dans cette affaire. … Une délégation menée par Maurice Vaillant m’a demandé audience et m’a sollicité pour apporter mon soutien aux grévistes. J’ai refusé de les soutenir ; ce n’était pas dans mes convictions. Au cours de l’entrevue, le ton a toujours été correct.
2.3 – à Basse-Indre
A J.J Carnaud et les Forges de Basse-Indre, le premier signe du conflit qui se prépare dans les instances syndicales, se manifeste par la journée de grève générale du 13 mai ; hormis les problèmes de l’atelier d’étamage électrolytique, cette action est motivée plus par solidarité que par des revendications particulières . Le lundi 20 mai, à 6 heures du matin, la grève générale est décidée. Un grand meeting est tenu dans le hall de l’atelier de cisaillage et il est décidé de rejoindre les autres usines en grève par l’occupation de l’établissement. Cela se passe sans heurt ; des piquets de grève sont placés aux accès de l’usine par un comité de grève CGT, FO et CFDT. . Les premières mesures consistent à sécuriser et maintenir l’outil de production en parfait état.
La direction peut entrer et sortir de l’usine chaque jour sans difficulté. Très rapidement, au bout d’un jour ou deux, les ouvriers « Sudistes » de Saint-Jean, mais aussi du Pellerin, de la Montagne et de Brains se retrouvent isolés du conflit, car, privés de bacs et d’essence, ils ne peuvent pas rejoindre Basse-Indre.
2.4 – Aux Ateliers des Côteaux
Depuis deux ans, des modifications statutaires divisent le personnel. Tout se serait bien passé si les conditions entre ouvriers d’Etat et ceux ressortissants des Ponts et Chaussées avaient été identiques.
Le 20 mai, après une assemblée, il est décidé l’occupation de l’établissement. Les deux syndicats, FO et la CGT forment le comité de grève. Les grilles d’entrée sont cadenassées. Les revendications portent principalement sur l’égalité des statuts Ce n’est pas une occupation pure et dure comme à Sud-Aviation, il y a un piquet de grève à l’entrée les sept jours de la semaine, mais jamais la nuit. L’ingénieur T.P.E André Sorin, faisant office de directeur, réside dans l’enceinte des Côteaux ; il n’est pas prisonnier.
L’une des premières missions est d’assurer la sécurité de l’établissement et de maintenir en état les machines de production.
2.5 – Dans les autres usines de la Basse-Loire
A la Bordelaise
Le mouvement démarre le 20 mai, pour les 160 ouvriers de Haute-Indre. Leurs revendications portent sur les salaires les mêmes garanties que les cadres pour la maladie et les accidents de travail. La reprise aura lieu le 10 juin.
A Tréfimétaux à Couëron Le mouvement débute aussi le lundi matin du 20 mai, mais les mensuels, inorganisés syndicalement, continuent le travail. Ils seront contraints de stopper leurs activités dans l’après-midi car les ouvriers occupent les locaux.
Le déroulement de la grève sera calqué sur celui des Forges et J.J Carnaud. La reprise aura aussi lieu le 17 juin, mais avec des résultats à peine supérieurs aux accords de Grenelle, soit deux semaines de grèves payées ainsi que les deux jours fériés de l’Ascension et du lundi de la Pentecôte, sur les quatre semaines perdues.
2.6 – Dans le monde agricole
Les agriculteurs, voient dans cette lutte, l’occasion de défendre leurs intérêts, menacés par les groupes alimentaires qui les exploitent et décident de manifester à leur tour.
Cependant à St-Jean aucun d’eux ne participe activement au conflit. Il est vrai que s’ils sont encore nombreux sur notre commune à cette époque, ils ne gèrent pas de grandes exploitations.
Le monde agricole dans son ensemble sera partie prenante et participera aux mouvements dans les grandes manifestations nantaises ; ils concrétiseront également leur solidarité à la lutte en proposant à petits prix les produits de leurs exploitations. Ce sera notamment le cas à La Montagne, lors du marché hebdomadaire.
2.7 – Chez les commerçants et professions libérales
Conflit ou pas il faut se nourrir, il faut continuer à vivre. Et ce n’est pas le moindre souci des commerçants et des élus locaux.
Tout le monde n’est pas en grève ; Et c’est heureux ! Le secteur alimentaire se doit de ré-pondre aux besoins nutritionnels. Ce n’est pas là le moindre paradoxe.
La fermeture des raffineries a pour effet de mettre les pompes à sec. Comment dans ce contexte assurer l’approvisionnement ?
Les administrations sont closes. Comment se procurer l’argent nécessaire au Quotidien ?
Des comités de salut public sont créés un peu partout dans les communes pour venir en aide aux plus démunis.
2.8 – Dans le monde de l’éducation
Le monde étudiant
A cet âge, tout est permis, tout devient possible. Le contraire serait dommageable !
Les étudiants voient, dans cette immense expression de la Nation, dont ils peuvent revendiquer en toute impartialité, pour une large part, la pérennité, une occasion de transformer la société.
Les écoles primaires de St Jean de Boiseau
Saint–Jean-de-Boiseau a deux écoles primaires, l’une publique et l’autre privée. Elles sont les seuls établissements de la commune à participer à la grève.
L’école publique
L’école publique, possède 4 classes : 3 primaires et une maternelle. Lorsque les évènements sociaux frappent la commune, ils suivent les directives du syndicat enseignant et ferment l’école communale pendant une dizaine de jours.
Les écoles privées
Dans l’enseignement privé, le passage de la CFTC à la CFDT a été largement approuvé. C’est le début du « colloque de Nantes ». Aussi, quand la CFDT lance un mot d’ordre de grève générale, les enseignants des écoles Saint-Marc et Sainte-Marie, décident à l’unanimité de cesser le travail. Cette décision est loin d’obtenir l’aval d’une large partie des parents d’élèves. Le climat sera donc très tendu, surtout avec l’OGEC.
3 - Vers la fin du conflit
A partir de cette fin du mois de mai les évènements se précipitent. Le 25 mai débutent les premières négociations qui déboucheront sur les fameux accords de Grenelle.
Ces accords, signés le matin du 27 mai, sont devenus un symbole et aujourd’hui le terme est utilisé dans les négociations importantes que rencontre notre société.
En cette fin de mai, ils représentent dans leur conclusion un progrès social important : Augmentation de 35% du SMIC et de 10% des salaires, la semaine de travail est portée à 40h (au-dessus de cette barre, ce seront des heures payées en heures supplémentaires), les sections syndicales d’entreprise et l’âge de la retraite sera abaissé à 60 ans.
Ces accords, si importants qu’ils soient, ne signifient pas pour autant la fin des grèves ; toutefois ils ont pour conséquence de sonner la démobilisation d’une grande partie de la population qui commence, il est vrai, à donner des signes de lassitude. Qui plus est, la disparition du chef de l’Etat, le 29 mai, sa soudaine réapparition, le 30, et le discours télévisé qui a ponctué ce retour y sont aussi pour quelque chose ; n’en doutons pas !
Le 30 mai un accord est signé pour la reprise chez les pétroliers. Antar Donges ravitaille aussitôt les stations en carburants. Le long week-end de la Pentecôte qui arrive et il fait très beau. C’est la ruée vers les pompes à essence. Ce sera un week-end chargé sur les routes vers la côte.
Beaucoup de sociétés reprennent le travail dans la semaine du 4 au 7 juin.
Après le succès de la contre manifestation du 1er juin organisée dans toutes les grandes vil-les à l’initiative du Comité d’Action Civique et par les partisans du général De Gaulle (25000 personnes à Nantes), on le voit, la situation change peu à peu.
Le 6 juin, seuls les métallos nantais et Nazairiens poursuivent le conflit et manifestent encore en ville. Le mouvement s’essouffle.
L’heure de la reprise approche.
Comme souvent les avantages acquis ne sont pas les mêmes selon les entreprises. Nous allons étudier cette fin du conflit dans chacune des usines de la Basse-Loire
A Sud-Aviation
A Sud-Aviation, le 30 mai, le directeur de Sud-Aviation, Monsieur Duvochel est libéré après 16 jours de séquestration.
Le 7 juin, les négociations reprennent.
Le 11 juin les propositions salariales sont un réel progrès. Tout le personnel sera mensualisé. L’augmentation des salaires sera substantielle. Malgré ces avancées, la poursuite de la grève est votée. Les ouvriers réclament le paiement des jours de grèves. Une nouvelle proposition est accordée le 13 juin. Cette dernière proposition permet le vote à 55% en faveur de la reprise. Celle-ci sera effective le 14 juin.
A Indret
A Indret, la reprise est proposée aux salariés ; ceux-ci doivent s’exprimer à bulletins secrets. A la surprise des responsables syndicaux, une majorité certes faible (570 pour la continuité, 530 pour la reprise) décide, de continuer la grève, par solidarité avec les entreprises du secteur n’ayant pas obtenu satisfaction. Deux jours plus tard, devant la menace du Directeur de faire intervenir les forces de l’ordre, un nouveau vote, cette fois à mains levées, sonne la fin de la grève. Les résultats pécuniaires sont quasi inespérés. Mêmes les revendications vieilles de plus d’un an ont été acceptées. Les rappels qui en découlent frisent le mois de salaires. Par solidarité, les organisations syndicales demandent à tous d’apporter leur soutien aux plus défavorisés des usines voisines, en versant l’équivalent d’une journée de salaires. La collecte rapporte près de 35000 francs.
à Basse-Indre
Le 28 mai, les propositions gouvernementales de Grenelle sont soumises aux travailleurs. Les cadres de Carnaud font passer par voie de presse, une demande d’un retour à la raison et espèrent une reprise rapide du travail. Le 29 mai, nouveau rassemblement place du marché avec plus d’un millier de personnes. Après un rappel de la situation et le point des négociations, il est décidé de poursuivre la grève Après les accords de Grenelle le mouvement s’essouffle. Le 7 juin, Les syndicats rencontrent la direction centrale de la société, mais aucun accord n’est intervenu. La rencontre du 14 juin, s’avère positive. Les services de sécurité reprendront dès le 16 juin pour assurer un démarrage de la production le lundi. La reprise effective a bien lieu le 17 juin, soit après quatre semaines de lutte. Les avantages ne sont pas négligeables pour les petits salaires. Seule, une partie de la maîtrise, contre la grève, a le sentiment d’avoir été abandonnée par sa direction.
Aux Côteaux
Aux Côteaux, la grève continuera jusqu’au 15 juin. Si les accords de Grenelle ont donné satisfaction, une catégorie sociale a été oubliée dans ces accords, ce sont les marins. Ils n’ont pratiquement rien obtenu et n’ont pas décidé de reprendre le travail, sur les bacs notamment. C’est pour les soutenir que la grève sera prolongée jusqu’à la mi-juin.
Et ailleurs…
A la Bordelaise et à Tréfiméteaux, les résultats sont loin d’être bénéfiques, mais là aussi, avec beaucoup moins d’enthousiasme, il faut reprendre le travail. Les derniers à reprendre le chemin de l’usine seront les ouvriers des Batignolles. Ils poursuivront la grève jusqu’au 20 juin.
La gestion du quotidien dans nos communes.
1 - Il faut gérer la crise
L’Appel des maires
Devant la situation catastrophique du pays, le 26 mai, par voie de presse, tous les maires des communes de Loire Atlantique font paraître un article, dans lequel ils lancent un double appel libellé en ces termes :
Les élus soussignés de Loire-Atlantique, assemblés, au-delà de leurs opinions politiques, par leur seul souci de faire face aux responsabilités que leur ont confiées leurs citoyens, estiment de leur devoir de lancer un double appel :
Appel au Gouvernement pour qu’il entende les justes revendications des travailleurs et des jeunes
Appel au Calme à Tous Les Citoyens habitants ce département et particulièrement à tous ceux qui, à divers titres, exercent une responsabilité, afin que de l’effort de tous naisse un esprit de libre confrontation exempt de violence et de haine.
Au-delà de cet appel, comment les élus de La Montagne, Saint-Jean et Le Pellerin vont-ils gérer les répercutions de ce dur conflit ?
La situation à La Montagne
A La Montagne, conscient du problème, Francis Lambourg, le maire, réunit les commerçants autour d’une table afin de rechercher ensemble une solution. C’est ainsi qu’ils conviennent de désigner ceux d’entre eux qui assureront l’approvisionnement.
En 1968, de nombreuses personnes perçoivent leurs traitements ou salaires par la perception du Pellerin ; il en est de même pour les retraités.
Comme les administrations sont en grève, la situation se trouve, dès lors, bloquée.
Voici donc la démarche effectuée par le maire de La Montagne en concertation avec le percepteur du Pellerin, le responsable de la Poste de La Montagne et les commerçants de la commune.
Les commerçants versent leurs liquidités à la poste.
Monsieur Dalet avec l’accord de Monsieur Heslot conserve par devers lui ces liquidités et les utilise pour verser aux Montagnards les indemnités correspondant à leurs émoluments.
Suite à cet accord, cet argent peut de nouveau être utilisé pour subvenir aux besoins et retourne dans la caisse des alimentations, principalement, qui peuvent de nouveau les retourner à la poste.
La gestion du problème à Saint Jean
En 1968, à St Jean, le tissu commercial lié à l’alimentation est autrement plus dense qu’il ne l’est aujourd’hui : La Télindière a son boulanger et son épicerie, Boiseau et le Bourg possèdent chacun, un ou deux boulangers, une ou deux épiceries et un boucher.
Il faut gérer la crise. Le maire, Joseph Jousse, intervient auprès de ces commerçants et, afin qu’ils fassent preuve de compréhension, leur fait appel, le 27 mai, par le biais du « Courrier de Paimboeuf », dans lequel il invite tous les commerçants, à maintenir les produits et denrées alimentaires à leur prix normal, et à faciliter le crédit. Dans le même état esprit, et afin de faciliter les approvisionnements il organise la répartition des bons d’essence.
Dans la séance plénière du 27 juin, le Maire informe son Conseil municipal que le bureau d’aide sociale a distribué, sous forme de bons, de la nourriture aux grévistes pour un montant de 5000F.
Cette résolution est adoptée à l’unanimité.
Ces bons, dûment remplis, sont remis au Bureau d’Aide Sociale qui rembourse chaque commerçant de la somme avancée.
Si à La Montagne, le maire refusa d’apporter son soutien aux grévistes, la motion présentée au maire de Saint-Jean par quelques uns de ses colistiers essuie le même refus. Et pourtant le maire et ses 2 adjoints sont ressortissants d’Indret et, chez les 14 conseillers, 9 travaillent à Indret et 3 autres travaillent à J-J Carnaud, à Sud-Aviation et aux Ateliers des Côteaux !
Le Pellerin s’organise . Le 31 mai, sur la place du commandant l’Herminier, au Pellerin, un grand rassemblement populaire, regroupant, les agriculteurs, les enseignants du collège et des écoles primaires, les commerçants, artisans et les ouvriers des Ponts et Chaussées des Côteaux et des autres usines en grève se déroule sous la forme d’un meeting.
Narcisse Guénichon, alors directeur du collège, est venu assister au meeting ; il se retrouve bientôt invité sur cette tribune où il est élu membre du comité interentreprises de grève. Celui-ci a pour objectifs : la coordination du mouvement de grève, le contrôle de l’attribution de l’aide sociale en accord avec la municipalité, l’étude de tous les cas particuliers découlant de la situation actuelle.
Les propositions salariales sont un réel progrès. Tout le personnel sera mensualisé.
2– Les conséquences et les retombées
2.1 – Sur la population
Ce dur conflit ne fait pas l’unanimité dans nos communes ; que ce soit à la Montagne, St Jean, Le Pellerin et plus encore peut-être à Brains.
La population de ces communes est choquée de cette situation extrême et ne comprend pas les raisons profondes qui ont conduit le monde ouvrier à se révolter.
Depuis longtemps déjà, les ouvriers d’Indret sont considérés comme des nantis. Leur engagement est d’autant plus étonnant.
On dit aussi qu’à Sud-Aviation les gens sont les mieux payés de la région. Donc on ne plaint pas non plus les grévistes de Sud-Aviation, ils ont « la bouche pleine ».
Ce qui est certain, c’est que la population, montagnarde notamment, accepte mal cette notion d’occupation d’usine et de séquestration de la direction. Dans les commerces les gens ne parlent pas. L’ambiance est feutrée, voire lourde.
2.2 - Sur la vie religieuse
A Saint-Jean et à La Montagne, les données sont pratiquement les mêmes.
Saint-Jean a son curé, André Rucher, et son vicaire, Georges Olive. A La Montagne le curé est Alfred Aulnette, et les deux vicaires sont Robert Ploquin et Michel Cornet. Dans chacune de ces paroisses les deux curés sont conservateurs et se font les porte-parole de « l’ordre établi ». Les vicaires quant à eux ont pris une option toute différente. Il est vrai que leurs activités tournent autour de la Jeunesse Ouvrière Catholique et l’Action Catholique Ouvrière ; il n’est donc pas étonnant, de ce fait, de prendre fait et cause pour l’action présente. Si Michel Cor-net est plutôt modéré, Georges Olive et Robert Ploquin prennent nettement partie.
Quels rapports pouvaient avoir ces ecclésiastiques dans leurs relations de tous les jours.
Même s’ils n’approuvent pas les propos du curé ou du vicaire, lors du sermon dominical, peu de paroissiens n’osent s’y opposer ouvertement.
Tout au long de conflit, Monseigneur Vial, ne cacha jamais son penchant pour la lutte ouvrière. Un certain milieu, de toute évidence hostile à ses propos, ira jusqu’à l’affubler du sobriquet de Vialdeck- Rochet par analogie au secrétaire général du PCF d’alors Waldeck-Rochet.
De toute évidence ses affinités n’étaient pas connues de tous. Ainsi, le préfet pariant sur un pays de Retz renommé très catholique, cherche à apaiser les passions et demande à l’Evêque de Nantes de s’adresser par voix de Presse aux chrétiens.
On s’imagine sans peine la stupéfaction du préfet Jean-Marie Vié, lorsqu’il prend connaissance dans la presse régionale, et plus précisément dans le Courrier de Paimboeuf, du contenu du texte de l’ecclésiastique. Même si, dans son analyse, l’évêque fait l’état du conflit et en recherche les causes en toute objectivité, il ne condamne pas les actions menés et leur trouve même quelque raison d’exister.
2.3 - Sur la vie de tous les jours
Mai 68 fut bien autre chose qu’une manifestation du monde ouvrier et étudiant. Ce fut aussi une sorte de remise en cause à tous les niveaux, et une redistribution des valeurs.
La reconnaissance du rôle de la femme dans notre société fait partie de ces acquis.
A titre d’exemple rappelons que ce n’est qu’en 1970, que l’autorité parentale est uniforme pour les deux conjoints. Avant cette date, seul le père de famille a pouvoir d’autorité sur les enfants.
Après 68, la femme entre dans la vie communale et associative et y occupe des postes de responsabilités.
Chez les personnes que nous avons interrogées, les mêmes mots reviennent : Mixité sociale, libération de la femme, droit à l’expression dans l’entreprise, suppression des cloisonnements dans les rapports de société, socialisation des classes sociales. Mais un seul mot revient sur toutes les lèvres : dialogue..
Chacun à sa façon de voir les choses. Ce que d’aucuns appellent un combat Gauche/Droite, d’autres le qualifient d’affrontement entre les « Agités » et « Ceux qui ne l’étaient pas ».
2.4 – Sur la vie familiale
Ce conflit eut fatalement des retombées dans de nombreuses familles. Dans certains cas, afin d’éviter le pire, les réunions de famille sont suspendues.
Les conflits les plus aigus apparaissent chez les pratiquants.
Si chez les laïcs, au sens péjoratif du terme, les différents peuvent porter sur la nécessité et le bien fondé de la grève, le conflit prend une autre dimension chez les pratiquants. Si les sujets énoncés ci-dessus n’échappent pas à ces derniers, ils passent au second plan devant les problèmes beaucoup plus profonds que sont la remise en cause de la hiérarchie établie et surtout la libération des mœurs et de la sexualité.
Par ailleurs, depuis un certain temps déjà, les positions, prises par les associations telles que la J.O.C. et l’A.C.O., gangrènent les relations entre parents et enfants.
2.5 - Sur la vie politique
Les élections législatives du 23 et 30 juin 1968, résultant de la dissolution de l’Assemblée par le général De Gaulle, renforcent le Président et son gouvernement. Il y aura 391 députés élus pour la majorité présidentielle et 91 pour la Gauche.
La population n’était pas préparée à la brutalité avec laquelle ce mouvement s’est développé et les restrictions qu’elle a générées ont rappelé les heures noires de l’occupation. La crainte d’une nouvelle crise s’est traduite par un vote sanction pour les parties de Gauche rendus responsables du désordre.
2.6 - sur la vie associative
Comme chaque année, à St Jean, ont lieu, du jeudi de l’Ascension au dimanche qui suit, les traditionnelles Fêtes du Pé, qui drainent, chaque années, pas moins de 20 000 personnes. Les évènements aidant, il faut tout annuler et informer par voie de presse la population.
Hélas, voici qu’un groupe de Grecs sans doute prévenu trop tardivement, débarque à Saint Jean à la grande désolation du président des fêtes. Très vite, il faut réunir l’équipe chargée de mettre en place une fête plus modeste et héberger ces invités-surprise. La fête a donc lieu, mais ce ne sont pas les grandes fêtes habituelles.
Les Amicales Laïques de Saint-Jean et de La Montagne décident d’annuler leurs traditionnelles fêtes des écoles ; mais là les conséquences financières sont de moindre importance. Par contre la traditionnelle Fête de nuit, prévue le 22 juin dans le parc municipal, est mainte-nue.
2.7 - Les enfants Boiséens de mai 68
Au niveau de la commune de St-Jean les choses aussi ont évolué voici quelques aspects de ce changement :
La naissance du CCLE
Ce dur conflit a inévitablement de lourdes conséquences sur le budget des foyers. Beaucoup de familles doivent, la mort dans l’âme, tirer un trait sur les vacances.
Avant 68, à St-Jean, il y a d’une part les partisans de l’école publique qui se retrouvent au-tour de l’Amicale Laïque, et ceux des écoles St-Marc et Ste Marie qui ont leurs activités au patronage de l’Alerte. Ils ne se fréquentent que très peu et vivent, somme toute, en bonne intelligence. L’ Amicale Laïque organise à la Clotais, chaque année, en juillet, son Centre de Plein air et y accueille les enfants fréquentant l’école publique. Cette année là, le nombre d’enfants ne partant pas en vacances est en nette progression et les parents sont quelque peu soucieux de voir leur progéniture livrée à elle-même pendant deux longs mois. C’est là que l’esprit de dialogue et d’ouverture, généré par les évènements, prend toute sa signification. A l’initiative de M. Durand, le directeur de l’école publique, et d’un petit groupe, d’esprit ouvert, il est envisagé de réunir, en ce mois de juillet 68, à la Clotais les enfants de la commune quelle que soit leur appartenance scolaire.
Sans mai 68, cela aurait-il pu être ?
Le comité des fêtes
Un deuxième enfant issu de mai 68 mérite d’être cité : Le Comité des Fêtes. A l’initiative, principalement de Jacky Luneau, de quelques amis animés du même esprit et avec l’appui de la municipalité, les associations de la commune et les artisans et commerçants vont, en commun, offrir à la population deux journées festives.
Réunis, sous l’égide du Comité des Fêtes, le long de la toute nouvelle avenue du 11 novembre, pendant que se déroulent les animations habituelles, ils tiennent leurs stands en commun et présentent aux habitants de St-Jean et à ceux des communes environnantes venus nombreux applaudir cette initiative, une image harmonieuse et empreinte d’une grande convivialité. Cette osmose aurait-elle existé sans l’ « esprit 68 » ?
3 - Les leçons du passé
40 années se sont écoulées ! Quelles leçons en avons-nous tirées !
Mai 68 fut pour beaucoup, mais malheureusement pas pour tous, une grande victoire sociale et l’accès a une meilleure qualité de vie. Mais aujourd’hui qu’en reste-t-il ?
C’est vrai, en 40 ans, d’un point de vue matériel, la qualité de la vie a très nettement progressé. Mais, sommes-nous pour autant plus heureux ?
Aujourd’hui, le syndicalisme a, très nettement, régressé. Par voie de conséquence, l’individualisme se taille la part du lion.
En 1968, le chômage en était à ses balbutiements. Aujourd’hui, il fait partie de notre quotidien ; il en est même devenu la règle.
Hier, les grèves avaient pour origines les conditions de travail, les salaires. Aujourd’hui lors-qu’un conflit apparaît, c’est, pour la défense de l’emploi, contre le licenciement, la délocalisation ou pire encore l’opposition à la fermeture de l’entreprise.
Certains affirment qu’on ne refait pas l’histoire, d’autres au contraire prétendent que la vie est un éternel recommencement. Où se situe la vérité !
Cette explosion du monde étudiant et du monde ouvrier, cette osmose entre ces deux entités peut-elle à nouveau se reconstruire 40 ans après !
Un Mai 68 pour demain ! Est-ce encore possible !
Jean-Luc Ricordeau & Alain Ordrenneau