Le cahier de doléances (1789)


C’est le 16 mars que Danghin, curé de la paroisse reçoit l’ordre de communiquer à ses paroissiens la convocation pour les États Généraux qui ne s’étaient pas réunis depuis ...1614 : « Sa Majesté désire que s’assemblent dans les villes et les villages dans le plus bref temps, les habitants pour conférer ensemble tant des remontrances, plaintes et doléances que des moyens et avis qu’ils auront à proposer et pour élire, choisir et nommer des personnes dignes de confiance, capables de transmettre ces remontrances et propositions aux divers états ».


Le 31 mars, 12 notables de St Jean, le curé Danghin et quelques dizaines d’habitants se réunissent dans le cimetière « la chambre (la sacristie) étant trop petite pour contenir le peuple ». Ils établiront leur cahier de doléances. La modération du ton montre qu’ils croient encore dans la justice du roi. Leurs réclamations visent donc principalement la seigneurie locale, le sieur de Martel avec qui ils ont des démêlés.

La justice prime

Ce souci d’une plus grande justice semble primordial dans l’esprit de nos concitoyens. C’est sans doute la raison pour laquelle les premiers paragraphes de leur cahier traiteront tous de cet aspect. « Les suppliants demandent une meilleure administration dans la justice et, au cas qu’il plût à Sa Majesté d’établir de distance en distance des barres royales (tribunaux royaux) ils demandent à être réunis à un chef-lieu le plus proche possible, voire même au siège du Pellerin ... ».
Les procédures qu’ils mènent parfois pour obtenir satisfaction lors de conflits avec leur seigneur sont généralement très longues, aussi demandent-ils : « une abréviation des procès, car depuis quarante ans ils plaident contre leur seigneur pour avoir la partage de quatre cents journaux de communs, et depuis ce temps ils n’ont pu obtenir justice ». Mieux, dans le conflit évoqué, une décision de justice vieille de 13 ans et qui leur donnait satisfaction n’a pas été appliquée par de Martel. Il s’est même permis d’afféager des terres qui ne lui appartenaient pas en propre. « Pourquoi les suppliants demandent que tout ce que le seigneur a afféagé depuis la sentence de 1776 soit remis dans son premier état, et que tous les fossés soient abattus aux frais et dépens de ceux qui les ont fait lever ».
Lorsqu’une vente de terre roturière a lieu, le seigneur perçoit un droit sur cette transaction appelé droit de lods et ventes. C’est lui qui en fixe le montant. On assiste ainsi à des disparités d’un lieu à un autre. Ce système doit être aboli et regroupé sous l’autorité royale pour uniformiser les taxes. « Si Sa Majesté s’empare des justices et qu’elle les fasse exercer en son nom, et qu’elle perçoive elle seule les lods et ventes, elle sera suppliée de les réduire toutes au même taux ; d’un côté de la Loire on les paye au huit et de l’autre côté au six ; il serait donc juste de les porter toutes au même point, c’est-à-dire au huit [...] »

Allègement des impôts

Cette pression est écrasante pour le peuple et il convient donc d’en alléger autant que faire se peut la charge. Aussi nos habitants vont-ils énumérer certains de leurs griefs qu’il s’agisse de :

  • Francs-fiefs. Droits qu’acquitte un roturier lorsqu’il acquiert une terre noble, il représente environ le revenu d’une année sur vingt et a été généralisé depuis 1771 sur l’ensemble du royaume. A St Jean, on demandera donc « la suppression des francs-fiefs, des huit sous pour livres et du centième denier des successions collatérales ».
  • Droits de contrôle et d’insinuation. Depuis près d’un siècle, les actes notariés et les exploits d’huissiers sont soumis à un contrôle, soit un enregistrement sur les registres du greffe de la sénéchaussée. Quant aux actes sous seing privé, une formalité similaire est appliquée. Il va de soi que ces opérations donnent lieu à des taxes supplémentaires. Là encore, un allègement est sollicité : « On demande qu’il soit fait un tarif pour les droits de contrôle et d’insinuation, qu’il soit modéré, et que les dix sous pour Livres en soient supprimés ... »
  • Mouteaux et fours à ban. Il s’agit là de l’ensemble des habitants qui sont soumis à l’obligation (même parfois en cas de non utilisation) de verser une rente pour l’usage de banalités (moulins, pressoirs etc.). Une suppression pure et simple est requise à leur encontre.
  • Dîmes. Cet impôt est sans contestation possible le plus connu. Il consiste en une taxe - une de plus - prélevée au bénéfice de l’Église. En outre, cette somme ne reste quasiment pas dans la paroisse où elle est prélevée puisqu’elle est reversée en grande partie à des prélats qui parfois ne viendront jamais de leur vie dans la paroisse concernée. Injustice flagrante. Aussi, convient-il de « demander la suppression des dîmes et la dotation des curés sur les abbayes commendataires qui sont réunies à la province ; et au cas que cela ne puisse avoir lieu, on demande que toutes les autres dîmes qui se perçoivent dans la paroisse par des ecclésiastiques non domiciliés soient réunies à la cure, auquel cas la dîme du recteur soit réduite au vingt ou au trente ».

Plus de libertés

La société de l’époque avait ses règles qui ne pouvaient satisfaire tout le monde puisqu’elle était fondée sur le principe des privilèges, système qui sera aboli durant la nuit du 4 août. Si ce fut une des premières mesures prises par le futur pouvoir révolutionnaire, c’est qu’elle correspondait à une aspiration profonde parmi le peuple.

St Jean n’échappe pas à cette règle. La vie est subordonnée en grande partie au travail de la terre. Or, les seigneurs se sont arrogés des droits qui contrarient le travail des cultivateurs :

  • Fuies : Le seigneur pour montrer sa puissance a le droit de disposer d’un pigeonnier dont l’importance est très souvent liée au domaine. Les oiseaux qu’il abrite sont une véritable catastrophe pour les cultivateurs par les dégâts qu’ils occasionnent. Leur suppression est requise.
  • Garennes : Le droit de garenne est un droit supplémentaire acquis par la noblesse qui permet au seigneur d’avoir des bosquets ou des landes. Ces terrains vagues sont des réserves pour les lapins. Or les lapins, eux aussi, occasionnent des dégâts dans les cultures, en outre ces landes sont autant de terres que les habitants ne peuvent cultiver. Ces derniers réclament donc également leur suppression.
  • Quintaine : A l’origine, il s’agissait d’un jeu qui consistait à briser des lances contre un pieu planté en terre. En Bretagne, notamment, cette pratique était devenue une obligation pour les nouveaux mariés. Si cela pouvait être compris comme une distraction et pouvait donner lieu à une petite fête, cela était également souvent ressenti comme un épisode vexatoire pour ceux qui le pratiquaient, la technique des armes n’étant pas souvent leur fort. D’autant que l’on pouvait parfois y échapper moyennant ... une redevance. troisième motif de suppression réclamé.
  • Chasses : La chasse était donc un droit réservé à la seigneurie. Profonde injustice qui ne peut être réparée qu’en demandant que « la chasse soit défendue ou permise à tout le monde, ou en tout cas que le laboureur ait la permission de tendre des lacets pour prendre les gibiers qui viendraient manger sa récolte ».

L’égalité entre tous

Le peuple a décidément bien des devoirs et peu de droits. Il est astreint à certaines actions auxquelles échappent naturellement les tenants du pouvoir.
Il doit ainsi à son seigneur des corvées. Ce sont en fait un certain nombre de journées de travail gratuit. Les boiséens demandent donc « la suppression de la corvée et que les seigneurs soient tenus de faire percevoir leurs rentes comme tous les autres particuliers ».
Il en est de même pour la milice. Injustice d’autant plus criante que certains peuvent en être dispensés, ce sont essentiellement les serviteurs de la noblesse ou du haut-clergé qui doivent rester à la disposition de leurs maîtres. Là encore apparaît une demande de suppression « et si cela ne peut avoir lieu, on demande que les domestiques des gentilshommes des ecclésiastiques et de tous les autres privilégiés soient compris dans les rôles de la paroisse ».
Et puisque l’occasion est de dire tout ce que l’on a sur le cœur, pourquoi ne pas demander une égalité totale et pourquoi le paysan n’aurait-il pas les mêmes droits que les plus hauts placés dans la hiérarchie sociale ? « Et finalement ceux qui seront députés de la paroisse de St Jean à Nantes auront attention de déclarer que les habitants s’en rapportent à tout ce que le Tiers-Etat a déjà demandé et ce qu’il demandera ci-après en sa faveur, tant pour la suppression de la corvée des grands chemins que pour l’établissement des casernes, pour que les habitants de la campagne soient admis dans les députations et dans tous les emplois honorifiques ».
Voilà un mandat bien précis !

La Loire, artère vitale

Les gros villages de St Jean, le Fresne, Boiseau, Le bourg, La Télindière étaient tous situés en bordure immédiate du fleuve qui se trouve être l’artère économique de la région. C’est en effet à l’époque le moyen de transport le plus aisé. Or depuis quelques décennies, le lit du fleuve a été modifié artificiellement et les boiséens, non seulement ne disposent plus d’un accès direct à ce fleuve mais voient en outre cet accès continuer à se dégrader. Ils réclament donc « que le port ou pour mieux dire la rivière, à l’endroit où se font les exportations ou importations des denrées de la paroisse, soit rendu libre et navigable en tous temps ». Nos ancêtres ne peuvent comprendre que l’« on a jeté et on jette continuellement des tas de pierres considérables qui bouchent le cours de la rivière et causent un préjudice considérable à la paroisse ». Après avoir indiqué que plusieurs bateaux se sont perdus sur ces nouvelles constructions et que plusieurs habitants y ont couru des dangers tels qu’il s’en ait fallu de peu que plusieurs d’entre eux en perdent la vie, ils demandent « que les pieux et les pierres soient ôtés aux frais et dépens des afféagistes qui les ont fait mettre, et qu’on coupe, ou la digue du côté du Fresne, ou la queue de l’île d’Indret en dessous du crucifix de la longueur de quarante brasses, avec le droit d’y pêcher librement »

Quelques commentaires

Le curé Danghin qui était un homme très en en pointe sur le plan des idées est en grande partie à l’origine de la rédaction de ce cahier. Il n’en demeure pas moins que son contenu s’inspire des cahiers-type qui circulaient à l’époque. Il en est ainsi des paragraphes qui traitent des corvées, de la milice, des fuies et garennes, de l’inégalité des impôts, des terres vagues et des communs etc.
D’autres restent toutefois directement liés aux problèmes que vivent quotidiennement les boiséens, ainsi l’exemple du fleuve. Mais au-delà de ces considérations, ce qui est peut-être le plus frappant, c’est de constater que le peuple croit encore en la justice du roi et que ses griefs vont à l’encontre du seigneur local.
Ces cahiers montrent donc que le peuple des campagnes (St Jean n’est pas un cas isolé) n’est pas prêt pour une Révolution. Il voit seulement dans cette décision royale de faire remonter les doléances jusqu’à Versailles une opportunité de faire connaître ses malheurs et, qui sait, d’obtenir quelques modifications qui amélioreront ses conditions de vie en retirant un peu des pouvoirs au seigneur local.
Des décisions qui pourraient paraître impopulaires seront prises dans les années qui vont suivre sans soulever de véritable colère. Il faudra attendre mars 1793 et la levée de 300 000 hommes pour que la région se soulève. Mais St Jean ce jour-là aura choisi son camp et ne participera pas au soulèvement.